Léonce Houngbadji : « le Béninois vit très mal aujourd’hui »

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Léonce Houngbadji. C’est son nom. Il n’est plus à présenter. Journaliste, écrivain, communicant et acteur politique : auteur des ouvrages « Bénin : Le casse du siècle – Comment Patrice Talon fait main basse sur le Bénin, son élite, sa démocratie et son argent » (Amazon, 2 mars 2018, 186 pages) et « Résistons – Le Bénin à l’épreuve du dictateur Patrice Talon » (Saint-Honoré Editions, 22 octobre 2019, 277 pages) ; président du Parti pour la Libération du Peuple (PLP) ; exilé politique en France depuis deux ans et porte-parole de l’opposition béninoise dans la diaspora. Dans une interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder, l’opposant Léonce Houngbadji n’est pas allé par quatre chemins pour peindre en noir la gouvernance du président Patrice Talon qu’il accuse d’avoir saccagé tous les acquis démocratiques. 

Avant vous, nombre de vos compatriotes, de l’opposition politique, ont pris les chemins de l’exil, comme Komi Koutché, Sébastien Ajavon, Valentin Djènontin, Léhady Soglo, Simplice Codjo, Fatouma Amadou Djibril et bien d’autres encore. L’opposition fait-elle toujours partie du jeu politique au Bénin ?

Le jeu politique aujourd’hui au Bénin n’a plus de sens. Aucun. La démocratie et l’Etat de droit sont assassinés et enterrés. Ils sont confinés. Nous sommes en deuil. 

Depuis son avènement à la tête de notre pays, Patrice Talon a mis en place des mesures d’exclusion administratives et financières pour empêcher l’opposition de prendre part à toutes les élections. Vous avez vu ce qui s’est passé lors des législatives d’avril 2019, communales et municipales de mai 2020, totalement non inclusives, seuls ses fan clubs soutenant l’action gouvernementale y ont pris part. D’autres lois scélérates et surtout liberticides, nous les appelons des lois drones, personnelles ou personnalisées, ont été prises pour soumettre tous les grands électeurs et empêcher toute compétition électorale, tant que Patrice Talon serait au pouvoir.  

Aujourd’hui, le Bénin n’a pas une Assemblée nationale crédible, légale et légitime. Le Parlement qui est là, est privé, tous les 83 députés sont nommés par le chef de l’Etat, tous issus de sa famille politique. Ses dérives dictatoriales n’ont pas de limite. Elles n’ont pas épargné la décentralisation, complètement démolie. En mai dernier, il a nommé tous les conseillers communaux et municipaux et les 77 maires, à l’issue d’une mascarade électorale rejetée par notre Peuple.  

En réalité, Patrice Talon a peur de la compétition électorale et de son avenir. Du coup, il s’arrange pour s’éterniser au pouvoir comme le font les autres dictateurs sanguinaires sur le continent, afin d’éviter de rendre compte de ses crimes économiques et de sang. Mais il se trompe. Il rendra compte de tout, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre.

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Bientôt deux ans que vous avez quitté le Bénin. Mais on imagine que vous suivez de très près l’actualité quotidienne de votre pays. Comment se porte le Bénin 60 ans après son indépendance, sur les plans politique, économique et social ?

Je suis de très près, au quotidien, tout ce qui se passe au Bénin. Je suis très préoccupé par la dégradation de la situation sur le terrain.

Pour revenir à votre question, 60 ans après l’indépendance, le Bénin est devenu le véritable enfant malade de l’Afrique. Plus rien n’est à sa place. Tous les acquis démocratiques sont minutieusement détruits, à vive allure. 

Sur le plan politique, je viens de vous peindre un tableau très sombre, inquiétant. La période pré-démocratique était très mouvementée, avec l’instabilité politique, les coups d’Etat récursifs. L’avènement de la démocratie en 1990 a mis le pays sur les rails de la démocratie. Mais depuis 2016, nous connaissons un grave recul démocratique qui plonge le pays dans le chaos. Tous les signaux sont au rouge. C’est une tache de honte. Nous devons travailler à vite l’effacer. Et c’est cela qui nous mobilise.

Economiquement, l’échec est patent. Nous n’avons même pas un tissu économique, pas de modèle économique, pas de politique économique sérieuse. La souveraineté économique n’est pas non plus au rendez-vous. Nous avons la mer, des fleuves, des lacs, mais nous importons encore la tomate, du riz et autres produits de première nécessité. Plus grave, tous les secteurs vitaux de ce que nous avons comme économie se trouve dans les mains du seul clan au pouvoir. Le Nigéria a fermé ses frontières avec le Bénin depuis un an. Toute l’activité économique tourne au ralenti. Les recettes de l’Etat sont en baisse et vont pour la plupart dans les coffres-forts des dignitaires du pouvoir. L’Etat se voit obliger d’aller presque quotidiennement sur le marché financier emprunter des milliards de F Cfa pour faire face aux dépenses de souveraineté. 

Socialement, c’est un désastre. Les 60 ans d’indépendance n’ont pas permis au Bénin d’avoir une politique sociale juste et durable. Le Béninois vit très mal aujourd’hui. C’est le casse social avec la précarité de l’emploi, le chômage devenu galopant, la misère, la faim, la pauvreté généralisée partout.

Le Bénin mérite mieux. Un nouveau chemin s’impose pour lui redonner sa dignité et son honneur, afin de bâtir une véritable Nation, un véritable Etat, des institutions fortes pouvant tenir face à tous les chocs ou toutes sortes de menaces. 

Economiquement, il nous faut aller vers une économie fondamentale. Politiquement, il faut restaurer la démocratie et la consolider. Socialement, il faut mettre en place une politique qui puisse tendre la main aux plus faibles dans la société.

Dans un entretien accordé à la Nouvelle Tribune, fin octobre 2018, vous affirmez que « Le pouvoir veut toujours ma peau». Quelle est la situation des Droits de l’Homme au Bénin ?

La situation des Droits de l’Homme au Bénin est alarmante. En témoignent les nombreux rapports d’Amnesty International et de Reporter Sans Frontière. Les citoyens sont quotidiennement tués pour leurs opinions politiques, parce qu’ils défendent leurs droits ou parce qu’ils sont supposés être proches des opposants politiques : Prudence Vioutou Amoussou, Fidèle Combetti, Kandissounon Abdel Djayane, Mama Assouma, Sito Rahmane, Kpéra Bachirou, Chabi Taïrou, Sanni Orou, Gbingniré Arouna Moussiliou, Mama Mamadou, Ambroise Biaou, Daniel Elécho, Worou Imorou Assika, Dimon Oscar, Kouagou M’po Daniel, Dadjè Etienne, Broda Souradjou, Bariba Tchatchou, Abdou Issaou, Théophile Dieudonné Djaho, Bio Zakari Adam, etc.

La dictature autocratique en cours a poussé des centaines de nos compatriotes à prendre la route de l’exil ou de la clandestinité : Sébastien G. Ajavon, Valentin A. Djènontin, Komi Koutché, Bertin S. Koovi, Fatouma Amadou Djibril, Jean Panti, Hugues Sossoukpè, Renaud Bossou, Joël Ajavon, Zakari Yaho Atta Adam Aboubakari, Simplice Dossou Codjo, Gilbert Makou, Léonard Biaou et bien d’autres. Plus de 3000 à 5000 Béninois sont concernés par cette vague de départ forcé du pays pour des pays voisins dans la sous région ouest africaine, en Europe, aux Etats-Unis, au Canada et en Asie. En Europe, le grand nombre se trouve en France.

Nos prisons sont remplies de prisonniers politiques : Laurent Mètongnon, Eléonore Okoumassou, Hamiss Dramane, Ferdinand Combéti, Loth Houénou, Adam Sounon Kondé, Anicet Zantchio, François Hounsinou, Aimé Sassi, Daniel Atchokossi, BioTourou Alassane, Mounirou Odjo, Gilbert Semassa, Florent Gbèdohoun, Aristide Adéyenan, Genève Agbétchika…

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Vous êtes un membre très actif de la Résistance Béninoise dans la Diaspora qui ne cesse de dénoncer « la gouvernance affairiste, népotiste, terroriste, césarienne, cynique, mafieuse, ruineuse, autocratique et affameuse de Patrice Talon ». Quels rôles peuvent encore jouer la société civile et l’opposition politique ?

Elles ont un rôle déterminant à jouer : la défense et l’extension de la démocratie. Elles doivent s’unir pour faire barrage à l’autocratie. C’est une question vitale, une question de vie ou de mort pour le Bénin. Les patriotes et démocrates, membres des organisations citoyennes et politiques, doivent se donner la main, s’organiser et se mobiliser méthodiquement pour vaincre cette dictature.

Vous avez saisi des chancelleries internationales sur la situation de gouvernance du Bénin, les violations des Droits de l’Homme. Quels sont les premiers retours de cette démarche   ?

Effectivement, nous avons alerté la communauté internationale à tous les niveaux pour qu’elle prenne la pleine mesure de la situation avant qu’il ne soit trop tard. Ce qu’il faut retenir est que ces actions d’information et de sensibilisation ont porté leurs fruits, puisque tout le monde est bien conscient aujourd’hui de la situation du Bénin. En France, par exemple, grâce aux actions de l’opposition dans la diaspora, le Parlement a interpellé le Gouvernement à plusieurs reprises, suite à des échanges avec une dizaine de députés de plusieurs bords politiques. 

Beaucoup de partenaires techniques et financiers ou d’investisseurs sérieux ne veulent plus envoyer un franc au Bénin. Tout le monde fui la destination Bénin, à haut risque.

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Le Bénin a longtemps été considéré comme un modèle de démocratie, en Afrique subsaharienne francophone, depuis l’avènement du multipartisme en 1990. Est-ce toujours vrai ?

Le Bénin n’est plus un pays sûr. Notre modèle démocratique s’est complètement effondré. Il faut déconfiner la démocratie béninoise, à l’issue d’une Assise Nationale, pour refonder le pays.

Le président Patrice Talon est arrivé au pouvoir en 2016 par le verdict des urnes. Dans l’un de vos ouvrages parus en 2018 « Résistons. Le Bénin à l’épreuve du dictateur Patrice Talon », vous indexer les multiples dérives du pouvoir de Porto-Novo. Comment expliquer son revirement ? 

C’est très simple. Depuis 30 ans, c’est lui qui fabrique la plupart des hommes politiques. Lui-même a reconnu qu’il finance leurs campagnes électorales. En retour, ils lui donnent les marchés publics, à l’aide des décrets présidentiels et des arrêtés ministériels et interministériels, notamment dans les secteurs portuaire et cotonnier. Le revirement s’explique par le fait qu’il veut s’éterniser au pouvoir pour s’accaparer de toutes les richesses du pays. Pour y arriver, il tue et emprisonne ses opposants, pour être le seul maître à bord du bateau.

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