Lénce Houngbadji : « il faut déconfiner la démocratie au Bénin »

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Depuis la France où il s’est exilé en 2018, le Président du Parti pour la Libération du Peuple (PLP) continue de donner de l’insomnie au pouvoir en place au Bénin. Léonce Houngbadji, comme c’est de lui qu’il s’agit, multiplie les initiatives politiques et médiatiques pour « écraser la dictature autocratique et mafieuse à la tête du Bénin ». Dans une interview accordée à la presse guinéenne ce matin, l’auteur des ouvrages : « Bénin : le casse du siècle. Comment Patrice Talon fait main basse sur le Bénin, son élite, sa démocratie et son argent » et « Résistons : Le Bénin à l’épreuve du dictateur Patrice Talon » a décrit la situation politique préoccupante dans son pays et appelé la communauté nationale et internationale à prendre ses responsabilités avant qu’il ne soit trop tard. « Il y a besoin de déconfiner la démocratie au Bénin », plaide le porte-parole de la Résistance Béninoise dans la Diaspora. Nous vous proposons l’intégralité de son entretien avec la presse guinéenne. 

Depuis plus de quatre ans, vous menez un combat contre le gouvernement de votre pays pour « restaurer la démocratie et l’Etat de droit ». Quel est l’état des lieux de la situation de la démocratie au Bénin ? 

L’état des lieux est catastrophique. Depuis l’arrivée au pouvoir de Monsieur Patrice Talon, le Bénin a cessé d’être le havre de la démocratie et des libertés en Afrique. Le Benin était une démocratie de premier plan avec un engagement profond et permanent sur les questions relatives à l’Etat de droit et aux Droits de l’Homme. De nombreux pays africains suivaient avec intérêt et attention ce qui se passait au Bénin, afin de s’inspirer de son modèle. Mais depuis le 6 avril 2016, le Bénin a basculé dans une dictature autocratique et mafieuse, témoignant du grave recul démocratique du pays. 

La présidence de Monsieur Patrice Talon est marquée par la mise en place de mesures dangereuses qui menacent les libertés individuelles, la vie privée, le droit à la sécurité personnelle, les libertés d’assemblée pacifique, d’association et de manifestation, ainsi que d’expression, de religion ou de conviction. La loi sur le code numérique montre bien le désir manifeste du Gouvernement d’installer une police politique dans le pays avec pour but de réprimer les opposants par le biais d’un certain nombre de mesures attentatoires aux libertés civiles et politiques. 

Sur France24, vous avez affirmé que le Bénin n’est plus un pays sûr. Vous avez même publié un ouvrage sur l’instauration de la dictature dans votre pays.  Donnez-nous quelques éléments concrets qui confortent vos déclarations ?

Le Bénin n’est plus un pays sûr. C’est une évidence. Le dernier classement de RSF et les multiples décisions de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuple en disent long sur les dérives autoritaires du pouvoir en place dans mon pays. Les Béninois s’inquiètent sérieusement du rétrécissement de l’espace démocratique et de libertés, illustré par plusieurs faits patents. Comme vous voulez des exemples précis, je vais vous en donner quelques uns :

1- les massacres des populations civiles à balles réelles par l’armée et la police en février-mai-juin 2019 et janvier-mars 2020 dans plusieurs localités du Bénin (Kilibo, Cadjèhoun, Tchaourou, Savè, Kandi, Abomey-Calavi) et autres assassinats crapuleux : Prudence Vioutou Amoussou, Kandissounon Abdel Djayane, Mama Assouma, Sito Rahmane, Kpéra Bachirou, Chabi Tairou, Sanni Orou, Gbingniré Arouna Moussiliou, Mama Mamadou, Ambroise Biaou, Daniel Elecho, Worou Imorou Assika, Dimon Oscar, Kouagou M’po Daniel, Dadjè Etienne, Broda Souradjou, Bariba Tchatchou, Abdou Issaou, Théophile Dieudonne Djaho, Bio Zakari Adam, etc. 

2- la répression grandissante des voix critiques avec l’emprisonnement d’opposants politiques, journalistes d’investigation, web-activistes et défenseurs des Droits Humains : Laurent Mètongnon, Ignace Sossou, Eléonore Okoumassou, Hamiss Dramane, Ferdinand Combéti, Adam Sounon Kondé, Anicet Zantchio, François Hounsinou, Aimé Sassi, Daniel Atchokossi, Bio-Tourou Alassane, Mounirou Odjo, Gilbert Semassa, Florent Gbèdohoun, Aristide Adéyenan, Genève Agbétchika, etc. 

3- l’exil forcé des principaux adversaires politiques tels que Sébastien G. Ajavon, Komi Koutché, Bertin S. Koovi, Joël Ajavon, Léhady V. Soglo, Francis Loko, Fatouma Amadou Djibril, Martin Rodriguez, Simplice Dossou Codjo, Valentin A. Djènontin et moi-même Léonce Houngbadji. 

4- le musèlement de la presse et la fermeture définitive ou la suspension jusqu’à nouvel ordre de tous les médias indépendants (La Nouvelle Tribune et Soleil Fm). 

5- l’instrumentalisation de la justice contre les potentiels candidats aux élections présidentielles comme Sébastien G. Ajavon, Lionel Zinsou et Komi Koutché : par des condamnations politico-judiciaires, tous ont été déclarés inéligibles.  

6- le non respect des décisions de justice au plan international comme celle de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) ordonnant la suspension de l’organisation de l’élection municipale du 17 mai 2020 en raison de son caractère exclusif.

7- la vassalisation de toutes les institutions de la République : la Cour Constitutionnelle est dirigée par l’avocat personnel du chef de l’Etat, son ancien ministre de la Justice, Me Joseph Djogbénou. 

8- la création d’une Cour d’exception et inique pour persécuter les opposants politiques : la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme, plusieurs fois condamnée par la justice internationale, la justice Espagnole dans le dossier d’extradition (refusé) de l’ancien ministre d’Etat chargé de l’Economie, des Finances et des Programmes de Dénationalisation, Komi Koutché, et celui du Président d’Honneur du parti Union Sociale Libérale (USL), Sébastien G. Ajavon, devant la CADHP. 

9- la mise en place d’une Assemblée privée au service uniquement du chef de l’Etat au lieu d’une Assemblée Nationale au service de la République : les 83 députés ont été nommés et installés dans le sang en 2019. 

10- la nomination des conseillers communaux, municipaux et les maires en lieu et place du Peuple souverain habilité à élire ses représentants à divers niveaux. 

11- l’instauration d’une dictature autocratique avec à la clé, l’interdiction des manifestations publiques et le retour du parti unique : tous les partis d’opposition sont exclus du jeu démocratique. 

L’opposition a été empêchée de participer aux deux dernières élections, législatives et municipales. Nous avons suivi votre campagne contre ces scrutins que vous qualifiez de non inclusifs, notamment le dernier où vous aviez appelé au boycott massif. Les présidentielles de 2021 sont déjà à vos portes. Comment comptez-vous aborder ce virage ?

Je me permets de vous exprimer ma très vive préoccupation sur les graves atteintes portées aux droits de l’opposition et de la démocratie dans mon pays. Le jeu électoral n’a plus de sens aujourd’hui au Bénin. Le code électoral et la charte des partis politiques ont verrouillé l’espace politique. Ils constituent une véritable menace pour la paix, la sécurité et la stabilité du Bénin. Les mesures administratives et financières mises en place par le pouvoir pour « empêcher la compétition électorale et soumettre les grands électeurs » excluent l’opposition de toutes les élections. En témoigne la tenue des législatives du 28 avril 2019 et des municipales exclusives du 17 mai 2020 sans l’opposition. Ce même scénario risque de se reproduire en 2021 dans le cadre des élections présidentielles. Tout est fait pour que ce scrutin capital connaisse le même destin que ceux qui l’ont précédé, à savoir l’exclusion de l’opposition. Toute chose qui aggraverait la tension politique actuelle.

Je suis convaincu que la crise béninoise ne peut être résolue par l’imposition de réformes unilatérales taillées sur mesure comme le fait le Gouvernement, mais qu’elle requiert une solution politique inclusive. C’est pourquoi, les patriotes et démocrates béninois engagés dans la lutte pour la dignité et l’honneur du Bénin ont rappelé récemment que la priorité de l’heure, c’est d’abord la démocratie et l’Etat de droit. Il y a besoin de déconfiner la démocratie au Bénin. C’est ce qui nous mobilise. Après la démocratie, après l’équilibre du jeu démocratique, lorsque chaque chose sera à sa place, lorsque la paix, la liberté et la justice seront de retour, nous pouvons sereinement aborder les autres questions, électorales et autres, sur une base saine, sereine, constructive et juste. Sans la démocratie, il n’y a pas d’élections dignes de confiance, crédibles, libres, ouvertes à tous et transparentes.

Quelles sont vos perspectives au niveau de l’opposition ?

Notre devoir patriotique en tant que Béninois est de poursuivre la bataille jusqu’à la victoire finale, dans l’unité, la cohésion et la solidarité. Nous allons nous organiser plus qu’hier pour faire face plus efficacement aux défis pressants. L’opposition et l’ensemble de notre Peuple resteront déterminés pour permettre au Bénin de reprendre sa place dans le concert des nations démocratiques. Notre lutte a pour finalité d’amener le pouvoir à : 

► déconfiner la démocratie et l’Etat de droit ; 

► abolir toutes les lois qui menacent nos droits et constituent une source d’insécurité juridique et d’injustice pour les citoyens ;

► cesser toutes formes de harcèlements et de persécutions à l’encontre des opposants politiques et des médias et journalistes indépendants ;

► faire libérer tous les détenus politiques ;

► créer les conditions favorables au retour au pays des exilés politiques dont beaucoup se trouvent en France, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays africains dont justement la Guinée ;

► abolir toute forme de censure, de surveillance de masse et de restriction de la liberté d’expression et d’opinion et à la liberté de pensée, de religion ou de croyance;

► s’assurer que le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit de réunion pacifique et d’association soient pleinement protégés, et notamment le droit d’être informé par tous moyens, en ligne et hors ligne;

► assurer la protection des journalistes nationaux et étrangers dans l’exercice de leur métier;

► faire la lumière sur les crimes de sang commis avant, pendant et après les élections législatives exclusives du 28 avril 2019.

J’appelle la communauté internationale à la plus grande vigilance et à bien mesurer les conséquences de la dégradation de la situation dans une région déjà menacée par des conflits divers. Je l’interpelle encore une fois avec l’espoir sincère qu’elle pourra porter l’attention requise à la situation du Bénin, ainsi qu’aux violations des Droits de l’Homme dans le pays, et qu’elle prendra des mesures concrètes pour sanctionner les crimes de sang du régime. 

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